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Trafics de drogue, réseaux criminels et violence urbaine : la ville préfecture de la Creuse est-elle un Chicago qui s'ignore ?

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 Trafics de drogue, réseaux criminels et violence urbaine : bienvenue dans le quotidien des 70 policiers de l’une des plus petites préfectures de France : Guéret, dans la Creuse.

 Oui, vous avez bien lu : Guéret. 

Tourné au printemps, le doc diffusé sur W9 la semaine dernière annonce une couleur pour le moins surprenante. 

Et le lancement du sujet, comme les commentaires en voix off, est du même acabit : « Dans la préfecture aux 12.000 habitants, les trafics de drogue se multiplient. 

Les enquêteurs font désormais face à des affaires dignes des grandes métropoles. 

Alors, pour faire tomber les réseaux, les forces de l’ordre ne font aucune concession et enchaînent les opérations coup de poing. 

Et si la drogue mobilise les policiers, d’autres fléaux sévissent dans la ville ». 

Alors ? Sommes-nous, nous Creusoises et Creusois qui vivons ici au quotidien, aveuglés par notre amour du pays au point d’en être naïfs ? 

Sommes-nous tombés de notre chaise par pur angélisme en écoutant qu’à Guéret « les opérations commandos s’enchaînent et les réseaux tombent » ? 

La maire de Guéret « épouvantée par les commentaires » Non, sans doute pas. 

La semaine dernière, à trois jours de la diffusion du documentaire, la préfète lâchait, lors de l’inauguration de l’accueil du commissariat : « Contrairement à ce que dit le documentaire qui sera diffusé vendredi sur W9, cette ville n’est pas à feu et à sang. 

Croyez-moi, on peut s’y promener à 23 heures sans crainte ».

 « Épouvantée par les commentaires », la maire de Guéret regrette l’image ainsi donnée d’une ville qui « ne correspond pas à la réalité ». 

"J’ai regardé ce documentaire. 

Où l’on dit que le taux de délinquance a doublé, que les prises de produits illicites ont triplé, sans dire que les chiffres de base sont extrêmement bas. 

C’est outrancier.\" Marie-Françoise Fournier (Maire de Guéret) 

De fait – et la presse nationale s’en était largement fait l’écho l’an passé – le pourcentage d’augmentation de la délinquance balancé sans titre de comparaison peut effectivement effrayer. 

En juin 2023 par exemple, Le Figaro avait publié un classement des « petites villes rattrapées par la délinquance au quotidien ». 

Guéret apparaissait ainsi dans le palmarès des vingt petites villes les plus touchées par les coups et blessures hors famille… qui auraient triplé dans la ville préfecture entre 2016 et 2022. 

Mais il serait bon de rapporter cette progression de 200,4 % au nombre de faits recensés en 2022 : 95 ! 

« On sait bien que Guéret n’est pas épargnée par certains phénomènes mais ce film laisse l’impression que la ville est un coupe-gorge, reprend Marie-Françoise Fournier. 

C’est le problème de ces émissions de télé sensationnelles, ce n’est pas travaillé ni en amont, ni après. 

Les commentaires ne correspondent pas à notre réalité. 

Après, ce tournage montre au moins que, quand on appelle nos policiers, ils répondent et interviennent très rapidement. 

Cela reflète bien la réalité de leur proximité avec la population. 

On voit qu’ils ne sont pas très nombreux, qu’ils n’ont pas beaucoup de moyens mais qu’ils font vraiment ce qu’ils peuvent. 

Et on a aussi un Parquet qui répond très vite. » 

Un « territoire délaissé de la République »… vraiment ?

On est déjà loin, donc, de ce territoire, présenté comme « délaissé de la République ». 

D’autant que le commissaire Badier, en acceptant ce tournage, voulait d’abord « montrer que l’État ne lâche pas ces territoires » justement. 

"On tient à rester très présent et à traiter la délinquance de manière homogène. 

Pour moi, l’idée de ce reportage, c’était de montrer notre travail dans un département comme la Creuse, un travail assez méconnu. 

On ne fait pas que des chiens écrasés et des poules écrasées.

 Commissaire Xavier Badier 

De fait, s’il est bien question de chiens dans le documentaire, il s’agit de “molosses” brandis comme une arme par cet homme retranché chez lui et menaçant de faire sauter l’immeuble : une intervention musclée, en mars dernier, pour laquelle les policiers avaient dû prendre attache avec le Raid. 

L’on y voit aussi une “descente” de police, appuyée par la Bac de Limoges, dans une boîte de nuit guérétoise ; bilan de cette opération en avril : deux personnes contrôlées en possession de cannabis et une autre avec un couteau. 

Ou bien encore, dans cette ville où, toujours selon ce documentaire, « le chômage fait des ravages », l’arrestation d’une “trafiquante” juste devant… son lieu de travail. 

Autant d’interventions bien réelles certes mais présentées à grand renfort de commentaires racoleurs. 

« C’est un peu l’ADN de ce genre d’émission, tout est décalé, reconnaît le directeur départemental de la police national. 

Et ce peut être le ressenti des téléspectateurs mais je n’ai pas de commentaires à faire sur la ligne éditoriale. 

Cependant, je ne trouve pas que ça donne une mauvaise image du département mais que la police travaille normalement dans les petits territoires. 

Nous, le pire de la société guérétoise, on le voit toute la journée. 

On a notre délinquance, elle est traitée. 

On est très vigilants. 

Guéret n’est pas une ville pas sûre mais je ne dirai jamais qu’il n’y a pas de dangers. » 

Un reportage qui « manquait de mesure » Pour cause, en accordant aisément des autorisations de tournage pour ce genre de programmes, le ministère de l’Intérieur souhaite montrer que ses troupes sont partout mobilisées pour lutter contre toutes formes de délinquance. 

Le tout dans le but de conférer une image positive aux forces de l’ordre. 

Mais aussi de susciter des vocations. 

Comme l’indique un membre de la Sicop (Service d’information de communication de la police nationale) : 

"Faire apparaître la police à la télévision fait partie d’une doctrine. 

Cela permet de mettre le travail des policiers à l’honneur. 

Et des jeunes gens qui visionneraient une telle émission pourraient être amenés à nous rejoindre." 

Un agent du Sicop (empty) De là à présenter Guéret comme gangrené par la violence ? 

L’agent du Sicop admet que le reportage de W9 manquait de mesure. 

« J’ai dit à la production qu’elle abusait. 

Certes, on voit les policiers en action mais ça n’est pas non plus Chicago », dit-il, en faisant lui aussi référence à l’ex-capitale du crime. 

Les ravages de la délinquance... et de ce doc ? 

Car, selon la voix off du programme “choc” de W9, la délinquance ferait des « ravages » dans la préfecture creusoise. 

Délinquance qui a bien augmenté de 5,73 % en Creuse en 2023 : une tendance à la hausse « conforme à l’ensemble du territoire national », avait précisé la procureure Alexandra Pethieu lors de la présentation officielle du bilan de la sécurité en février dernier. 

Mais, si la délinquance générale a augmenté en zone gendarmerie, elle a baissé de 5 %… à Guéret. 

Toujours en zone police, les atteintes volontaires à l’intégrité physique sont en baisse de 22,47 % quand les violences intrafamiliales restent stables (85 faits) après une forte hausse. 

En augmentation sur Guéret, les atteintes aux biens : + 9,53 %. 

De 30 cambriolages en 2023, on est passé à 48 en 2023. 

Idem pour les vols dans les véhicules : de 53 en 2022 à 80 en 2023, soit une augmentation de 43,24 %. 

Enfin, l’accent ayant été mis sur la lutte contre les stupéfiants, forcément, les chiffres ont suivi : trois réseaux et trois points de deal ont ainsi été démantelés à Guéret. 

Mais quid des ravages d’un tel documentaire ? 

"On essaie d’attirer des gens chez nous et régulièrement, on a un petit coup de bambou comme ça derrière la tête, regrette la maire de Guéret. 

À côté de ça, les gens qui viennent vivre là et que je reçois me disent qu’ils viennent ici chercher le calme et la tranquillité." Marie-Françoise Fournier (Maire de Guéret) 

Et ils les trouvent.  

Les habitants des grandes villes sont-ils prêts à tout quitter pour... Guéret ?

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